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Théâtre Vollard, créations 1980-2020 – kamboo | design graphique
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Nathalie Legros lisant l'album de photographies du Théâtre Vollard au Salon du livre péi (Saint-Paul) en mai 2023

Théâtre Vollard, créations 1980-2020

THÉÂTRE VOLLARD, CRÉATIONS 1980-2020


Textes : Emmanuel Genvrin. Design graphique, maquette : Emmanuel Kamboo.

20×30 cm. 144 pages . EPSILON ÉDITIONS. ISBN 9782912949981

« À l’île de La Réunion depuis 1979, le Théâtre Vollard en a capté les saveurs, exhalé les mœurs et les humeurs dans un copieux répertoire pimenté à la satire sociale et politique. »

Marc Laumonier, Libération

Pendant quatre décennies la troupe Vollard de La Réunion aura joué près de 2 000 fois devant plus de 450 000 spectateurs. Elle a inventé ses propres textes et musiques, miroir d’une société créole en plein développement et en recherche de son identité. De Marie Dessembre à Fridom, en passant par Lepervenche, Carousel ou Séga Tremblad, cet album de 550 images – dont beaucoup sont inédites – se concentre sur ces spectacles et rend hommage aux centaines d’artistes qui y ont participé. Ces créations ont apporté un souffle nouveau au théâtre réunionnais, connu l’engouement du public et font aujourd’hui partie du patrimoine. 

Des images en mémoire

Ce sont de belles images qui nous restent en mémoire de l’époque « Vollard » : le bal blanc de Marie Dessembre, les commères de Nina ségamour, la voiture de Torouze figurée par la corne et la lanterne en cuivre que manipule un « petit homme » hilare, un train rentrant au dépôt dans Lepervenche et dévoilant « Docteur Papa » sur le quai, une tempête de neige concluant les saisons de Colandie.

Des images puissantes qui restent encore chargées d’émotion : une femme agonisant sur le plateau au milieu de ­Yambanes, une jeune fille au regard perdu sur un carrousel actionné par un clochard, ­Baudelaire succombant aux sortilèges d’une Jeanne (Duval ?) dans les Hauts de l’île. Rosette et Diana chantant « rèst la kaz cafrine ».

Des images drôles, grotesques et provocantes de Bèlbèl et Mère Marcelle dans Votez Ubu ­Colonial, celles amusantes des jeunes gens naïfs de Nina Ségamour, celles pittoresques des Petits Blancs de Runrock, Images de fêtes, de bals, de défilés, d’assemblées. En gros plans, des comédiens de la tribu Vollard au premier rang desquels l’acteur fétiche Arnaud Dormeuil, toujours juste, toujours drôle, Rachel Pothin au jeu cruellement réaliste, piquante et souvent émouvante, Nicole Leichnig en jeune fille ambitieuse, joueuse et perverse, Delixia Perrine inoubliable en Maman Paola. Tant de comédiens qui nous ont fait rire ou pleurer. Les souvenirs partagés dans cet album disent la créativité d’un Emmanuel Genvrin ou d’un Pierre-Louis Rivière et le bouleversement apporté par le Théâtre Vollard à La Réunion des années 1980.

La compagnie a fait irruption dans le monde culturel insulaire en 1979 avec un Ubu Roi décapant inaugurant un nouveau style : masques et gestuelle outrée inspirés de la comédie italienne ou de la tradition africaine, costumes caricaturaux, danse et musique, théâtre dans le théâtre et participation des spectateurs. Les mises en scène d’Emmanuel Genvrin privilégient une conception festive et spectaculaire du théâtre, une écriture alternant scènes burlesques et émouvantes, chansons, usage du créole et sujets historiques en écho aux préoccupations contemporaines. Un théâtre « populaire » séduisant toutes les classes de la société. Les créations de Pierre‑Louis Rivière, quant à elles plus intimistes, s’immiscent dans le quotidien de la vie réunionnaise.

Les photos dévoilent les espaces investis par le Théâtre Vollard : lieux « hors les murs » tels le Grand-Marché pour Marie Dessembre, un ancien cinéma et ses dépendances pour Étuves, une halte ferroviaire désaffectée pour Lepervenche et enfin Jeumon, ancienne fonderie à l’entrée de Saint-­Denis. Ainsi un public populaire et jeune prend-il l’habitude ­d’aller au théâtre. Ce choix contribue grandement au succès de la troupe et ouvre de multiples possibilités de mises en scènes à grande échelle, avec distribution nombreuse, trains, automobiles ou carnavals sur scène.

Les scénographies surprennent : cirque, cabaret avec orchestre au Grand-Marché, gradins utilisés comme décor et fête républicaine dans la cour du Cinérama, chemin de fer, ballets d’auto-lontan, gargote et restauration créole. Ces dispositifs favorisent la participation active du public : mêlés aux acteurs, invités à danser, manger, voter, les spectateurs jouent le jeu. Dans Lepervenche, ils sont transportés dans une vieille micheline réhabilitée pour l’occasion et la pièce connaît un succès phénoménal. Public acteur, public décor, public conquis par le sens de la fête.

On a souvent évoqué « l’ambiance » des spectacles de ­Vollard. Comment la retrouve-t-on dans cet album ? En observant que les comédiens sont aussi musiciens. Chansons et chœurs scandent chaque pièce, des lyrics madécasses poignants de Marie Dessembre jusqu’aux folles chansons d’Ubu ­Colonial, en passant par les quasi comédies musicales, Runrock ou Séga Tremblad préfigurant avec Jean-Luc Trulès la création de trois opéras. La langue créole au caractère métaphorique et poétique est superbement adaptée aux « songs » et aux mélopées. Inoubliable pour les spectateurs, la beauté des chœurs suscitant une émotion chaque fois renouvelée.

Une nouvelle dramaturgie est donc née, qui explore l’histoire de l’île et l’inscrit dans la réalité sociale. L’iconographie témoigne du large champ historique abordé, depuis la naissance de la colonie en passant par l’Abolition de l’esclavage, 1900, la départementalisation, jusqu’aux fameux événements du Chaudron. C’est avec l’histoire de leur île que les Réunionnais renouent : ce passé, souvent ignoré et non enseigné, constitue une source d’inspiration, sans parler d’une incursion dans la science-fiction avec Runrock ou Millénium qui, avec ses peurs d’Apocalypse, ses folies religieuses et ses épidémies, entre étrangement en résonance avec les années 2020. Pierre-Louis Rivière, lui, questionne l’époque contemporaine et ses crises de société.

Car les auteurs ne veulent pas raconter d’histoires édifiantes. Avec humour et complicité, ils abordent des sujets sensibles et touchent à des tabous. Leur théâtre nous laisse percevoir une Réunion lourde de son passé esclavagiste et colonialiste dont ils essaient de saisir l’inconscient collectif : rapports maîtres-­esclaves, racisme latent, abus de pouvoir, maternité triomphante et paternité non assumée. Une société de contradictions où se côtoient les communautés, où se mêlent sentiment d’infériorité et extrême fierté, attirance et haine du « zorèy », attachement à l’île natale et désir de s’expatrier, heurt des traditions, des superstitions et des modes de vie importés. Avec Lepervenche, les sujets se politisent, jusqu’à se déchaîner dans un Votez Ubu Colonial retrouvant la dérision mordante de Jarry.

Les vrais héros sont des anonymes, petites gens représentatifs du peuple, esclaves, affranchis, colons désargentés, comédiens, musiciens, des figures auxquelles les spectateurs peuvent s’identifier. La femme y joue un rôle primordial : les Nina, Colandie, Paola, Diana, Élise, nous parlent toujours, porteuses de tristesse et de rêve.

Enfin, comme en sourdine, les images de cet album révèlent la prégnance des croyances, légendes et mythes à La Réunion qui, enchevêtrés aux événements, expliquent bien des comportements, dérives et violences. Les allusions aux superstitions et aux rites magiques courent dans toutes les pièces et enrichissent l’œuvre d’une épaisseur onirique.

Constitué de ce mélange d’histoire présente et passée, d’analyse sociologique et psychologique, de gravité et d’humour, le Théâtre Vollard a défendu l’idée que l’art, pour peu qu’il soit libre, est nécessaire à la vie de la cité. Il a laissé des souvenirs impérissables de plaisir théâtral que l’on retrouve ou découvre en feuilletant ce bel album.

Agnès Antoir

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